Comme beaucoup, je connaissais Philip K. Dick de nom. Je ne m’étais pas encore penché sur ses romans, mais je savais que son héritage en matière de science-fiction et d’anticipation était considérable. Alors autant vous dire que j’étais très enthousiaste quand j’ai reçu en cadeau cette collection exhaustive de ses nouvelles ! J’ai découvert un auteur éminemment moderne, foisonnant de créativité et au style percutant.
Dick était un auteur américain qui a révolutionné la science-fiction dès la fin des années 1940. Né en 1928, il a écrit plus de 44 romans et 121 nouvelles avant sa mort en 1982. Foncièrement pessimiste sur la nature humaine – certains diraient cruellement réaliste –, son obsession se portait sur la nature de la réalité et la perception de soi.
« Parmi les auteurs qui ont influencé Philip K. Dick, on peut citer Isaac Asimov et Franz Kafka. »
Traumatisé dès son enfance, méconnu de son vivant, victime d’une agoraphobie qui l’a quasiment cloué à vie dans sa Californie natale, on ne peut pas dire que son parcours fut une succession joyeuse d’épanouissement personnel ! Mais la douleur et les vicissitudes du quotidien forcent à surnager pour ne pas sombrer ; ils sont parfois la forge brutale de grands artistes.
À sa décharge, il faut remettre en contexte l’époque qui l’a vu grandir : les horreurs de la Seconde Guerre mondiale cédant la place une implacable guerre froide, la menace permanente d’anéantissement nucléaire, la paranoïa anti-communiste du maccarthysme gangrenant la société américaine… Et, dans de nombreuses nouvelles, le foyer familial typique d’une Amérique des années 50, où la femme ressemblait davantage à une Samantha bien sage dans Ma sorcière bien-aimée (la magie en moins) qu’à une audacieuse Daenerys Targaryen du Trône de fer.
Si Jules Verne décrivait une science au service du progrès, libératrice de la condition humaine, vecteur de connaissance et de découvertes extraordinaires, Philip K. Dick s’inscrivait à l’extrême opposé.
Pour l’écrivain américain, le progrès technologique s’avérait synonyme d’asservissement militaire, de destruction de l’environnement et de surveillance politique de la population. Une intuition – hélas ! – visionnaire, au moins dans les grandes lignes.
La religion et le divin ne sont pas non plus épargnés dans sa période mystique. Mais, encore une fois, il s’intéresse moins à la réalité qu’à sa perception ; et c’est bien naturel, puisque ce que nous nommons « réalité » n’en est jamais que la perception que nos sens nous en offrent !
C’est un des aspects qui me plaît le plus chez Philip K. Dick, car la perception de la réalité est également un thème qui me tient à cœur. Je l’explore notamment dans mon propre recueil de nouvelles, Fables de Tzakatán, au fil de récits qui explorent chacun un genre littéraire différent. 📚
Car le genre littéraire de la nouvelle est très différent du roman ; en tant qu’auteur, je le trouve très formateur dans la mesure où il ne laisse pas de place aux fioritures. Il faut entrer dans le vif du sujet très rapidement et privilégier l’esprit de synthèse.
La nouvelle raconte généralement une tranche de vie, un épisode court et déterminant pour les protagonistes : elle constitue une excellente porte d’entrée dans l’univers d’un artiste, permet de se faire une bonne idée de son style et de sa vision du monde.
Parmi les auteurs qui ont influencé Philip K. Dick, on peut citer Isaac Asimov et Franz Kafka ; mais la source majeure de son inspiration reste probablement sa propre vie. Ses dépressions, ses hallucinations, ses expériences mystiques, la fragilité de sa santé mentale ont indéniablement joué un rôle prépondérant dans ses thèmes favoris.
« J’ai découvert un auteur éminemment moderne, foisonnant de créativité et au style percutant. »
Si cette intégrale de ses nouvelles est particulièrement intéressante – et remarquablement bien écrite (et traduite) –, ce sont ses romans qui ont fait aujourd’hui sa notoriété. Plusieurs ont fait l’objet d’adaptations cinématographiques, telles que Blade Runner (réalisé par Ridley Scott en 1982) qui met en scène un chasseur de primes aux trousses d’androïdes rebelles dans un futur dystopique. Ou la série uchronique Le maître du Haut Château (produite notamment par Ridley Scott et diffusée sur Prime Video), dans laquelle les forces de l’Axe ont remporté la Seconde Guerre mondiale et divisé les États-Unis en territoires contrôlés par le Japon et l’Allemagne nazie.
Basés sur une nouvelle, je citerai également Total Recall (réalisé par Paul Verhoeven en 1990), où un ouvrier rêvant d’une vie d’aventure découvre accidentellement sa véritable identité ; ou encore Minority Report (réalisé par Steven Spielberg en 2002), qui dénonce la prédiction du crime dans une société futuriste.
Enfin, il faut citer son roman Ubik, publié en 1969. Le livre, devenu un classique, est un exemple typique de la manière dont Dick a exploré la nature de la réalité et la perception de soi. Il narre les aventures de personnages dans un monde où le temps et l’espace sont déformés.
Pour ma part, j’aime tout particulièrement son style direct, ses dialogues réalistes, sa façon si efficace de décrire un personnage, une ambiance, en deux ou trois lignes : des détails quasi cinématographiques qui vont à l’essentiel.
Si vous appréciez la science-fiction, je vous propose de découvrir ma nouvelle Le nouveau-né, qui aborde également la perception de la réalité et son rapport à l’espace-temps.
Comme Jules Verne en son temps, Dick a également anticipé plusieurs développements technologiques qui sont devenus réalité. Par exemple, dans son livre Ubik, il décrit une forme de paiement électronique qui ressemble à ce que nous utilisons aujourd’hui avec les cartes de crédit et les portefeuilles en ligne. Dans ses nouvelles écrites à la fin des années 40, les gens communiquent par visiophone. Et, bien-sûr, les humains y exploitent les ressources d’autres planètes – et même d’astéroïdes, comme on commence aujourd’hui à l’envisager.
« Jusqu’où peut-on aller avant de cesser d’être humain ? Que signifie même « être humain » ? »
La guerre est également automatisée par des machines impitoyables et l’on se plaît à penser que la saga des films Terminator lui doit beaucoup. De fait, l’omniprésence de l’intelligence artificielle comme geôlier d’une humanité résignée est une récurrence qu’il a abordée de multiples façons.
Ainsi, l’influence de Philip K. Dick est manifeste encore aujourd’hui tant dans le cinéma, les séries télévisées que dans les inspirations des auteurs contemporains. Ses thèmes de la perception de soi, de la réalité et de la nature humaine inspirent encore la contre-culture, du cyberpunk à la littérature postmoderne.
En outre, ses réflexions sur la technologie et son impact sur la civilisation continuent de résonner dans notre société : jusqu’où peut-on aller avant de cesser d’être humain ? Que signifie même « être humain » ? Peut-on échapper au syndrome du pionnier, à cette frénésie d’expérimentation technologique au mépris de toute considération éthique ?
Il soulève ainsi des questions plus pertinentes aujourd’hui que jamais, alors que la technologie poursuit son expansion à un rythme exponentiel sans que la société et ses institutions n’aient le temps de s’y adapter – pour la première fois de notre Histoire.
Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement la lecture de cet écrivain hors norme ; ce recueil de nouvelles aux éditions Gallimard est un excellent point de départ pour l’aborder. Qu’on soit versé ou non dans la science-fiction, sa plume séduit tant par son originalité que par sa virtuosité.
Et puis, ce sens de la chute (la dernière phrase de ses récits est souvent lapidaire) et cette maîtrise très visuelle de la mise en scène en font un acteur majeur de la culture populaire et contemporaine.
Que pensez-vous de son œuvre ? Dites-moi en commentaire si vous avez déjà lu ses histoires, et lesquelles vous avez appréciées !
P.S. : Si l’homme vous intéresse également, je vous conseillerais le documentaire de 2015 diffusé sur Arte, Les mondes de Philip K. Dick.
© Photos : Eddy Belmont, Insight Magazine, Arthur Knight.