Si je vous parle habituellement dans ce blog des classiques qui m’ont marqué, je vais évoquer aujourd’hui un livre contemporain, et cette fois d’une autrice bien vivante : Amélie Nothomb.
Qui est Amélie Nothomb ?
Autrice issue d’une famille de la noblesse belge, elle passe sa petite enfance au Japon, puis dans les autres pays où son père diplomate est nommé avant de revenir en Belgique à la fin de son adolescence.
C’est à ses 26 ans, en 1992, qu’Albin Michel publie son premier roman : Hygiène de l’assassin. Depuis, l’éditeur publie chaque année un seul des quatre romans qu’elle écrit tous les ans. Car oui, Amélie Nothomb est une autrice prolixe !
Lauréate de nombreux prix pour ses romans, elle reçoit notamment le grand prix du roman de l’Académie française en 1999 pour Stupeur et tremblements, qui sera adapté en 2003 au cinéma par Alain Corneau avec Sylvie Testud dans le rôle principal.
« Ce que l’esprit ne comprend pas, le corps le saisit. […] Pour peu qu’on l’écoute, le corps est toujours intelligent. » Soif.
J’aime son style littéraire : incisif, imaginatif, emprunt d’humour noir, elle est un vrai génie de la concision. Elle sait résumer en peu de mots finement choisis, affûtés comme des slogans, des réflexions d’une profondeur peu commune.
Pourtant, malgré son succès fulgurant, je ne me suis à l’époque pas donné le temps de découvrir ses livres. Bien sûr, je la connaissais de nom, et je suivais ses interviews télévisées plutôt médiatiques où l’on découvrait une artiste un peu fantasque au langage soutenu.
Je me souviens l’avoir vue dans la ligne 6 du métro parisien, un matin où je me rendais à la rédaction du magazine où je travaillais. Assise face à moi à quelques banquettes d’écart, nos regards se sont croisés, je lui ai souri pour lui signifier que je la reconnaissais. C’était à la fin des années 90, je crois, et cela résume la seule interaction que j’ai eue avec elle jusqu’en 2020. Et pourtant, cela m’a marqué puisque je m’en souviens encore aujourd’hui !
Amélie Nothomb et le confinement de 2020
Un matin de mai 2020, je me suis réveillé avec France Inter, comme tous les autres matins. Vous vous en souvenez certainement, un confinement strict avait été décrété en France depuis le mois de mars, et la radio invitait des personnalités publiques à rédiger une lettre – les « lettres d’interieur » – lue avant le journal de 8h00 par Augustin Trapenard, sur le thème de ce confinement.
Pour être honnête, je ne les écoutais que d’une oreille somnolente et distraite, leur intérêt variant du « c’est fou ce que la nature est belle quand on prend le temps de la regarder à travers la fenêtre de ma résidence secondaire » à « Aujourd’hui, j’ai fait la cuisine moi-même : quel bonheur de se faire cuire un œuf sans l’intervention de mon chef cuisinier à domicile »…
« Ce qu’on appelle pompeusement « pensée » n’est jamais qu’un acouphène. » Soif.
Eh bien ce matin-là, quand le nom d’Amélie Nothomb fut prononcé, je sortis instantanément de ma torpeur : j’avais très envie de savoir ce que cette autrice avait à partager, pressentant qu’elle m’emmènerait loin des banalités effarantes de célébrités découvrant la vie réelle. Et je n’ai pas été déçu ! Sa lettre s’adressait à son père, décédé le premier jour du confinement.
Ses mots firent alors écho non seulement à mes propres convictions, mais également au roman que j’avais rédigé, Les Portes de Tzakatán. Et sa dernière phrase résonnait profondément en moi : « la mort n’est pas la cessation de l’amour ».
N’hésitez pas à découvrir les premiers chapitres de mon roman Les Portes de Tzakatán sur monBestSeller ou Wattpad ! Et pensez à me laisser un petit commentaire pour me dire ce que vous en avez pensé. 😉
Je venais d’entendre les mots d’une artiste qui disait, en substance et avec talent, ce que je développais moi-même dans mes histoires. Le choix. La mort non pas comme une fin mais comme une étape du voyage. Une spiritualité ancrée dans le concret du quotidien. La présence de l’esprit.
Quelle claque! Ce fut un vrai choc. Ce jour-là, j’ai pensé énormément à cette lettre, j’y vis un message, un appel. Aussi, sachant qu’Amélie lisait et répondait elle-même au courrier de ses lecteurs, je décidai de lui écrire une lettre, à mon tour, afin de la remercier.
Le lundi suivant, ce n’est pas France Inter qui me sortit de la torpeur matinale, mais la sonnerie de mon téléphone. Très inhabituel, aux alentours de 7h30. Un appel masqué. Je décroche. « Allô Eddy ? C’est Amélie Nothomb. » Inutile de vous dépeindre mon ahurissement. J’essaye de reprendre une contenance au bout d’une seconde, et je comprends qu’elle m’appelle pour me remercier de cette lettre qui l’a beaucoup touchée. L’échange a eu lieu. L’émotion qu’elle m’a offerte sans le savoir, j’ai pu la lui partager.
Dès lors, je ne pouvais plus ignorer ses romans : il fallait que je lise cette autrice qui avait su si bien trouver les mots et la syntaxe ! Je me suis alors précipité sur son roman le plus récent : Soif.
Soif, une introspection sur l’incarnation
C’est donc avec ce roman que j’ai vraiment découvert Amélie Nothomb. Narré à la première personne, ce n’est rien de moins que Jésus Christ qui raconte son parcours vers la crucifixion. Toutefois, n’y voyez pas un délire mystique ! Il s’agit plutôt d’une introspection universelle sur l’incarnation, une réflexion sur le vertige de vivre et d’aimer.
Ce qui m’a stupéfié, c’était le parallélisme entre ce roman et le mien ; certes, nous écrivons nos ressentis de façon très différente, mais le fond du propos est vraiment similaire. Il s’agit presque d’un roman initiatique tant il est parsemé de phrases percutantes comme des dictons, d’aphorismes acérés tels des rasoirs qui élaguent le superflu, vont à l’essentiel sans s’embarrasser d’ornements satellites.
« Se sentir plus intelligent qu’autrui est toujours une déficience. » Soif.
Je ne saurais trop que vous conseiller la lecture de ce livre, qui est le témoignage d’une profondeur d’âme et d’une grande volonté de partage.
Après l’avoir dévoré, et après notre courte conversation téléphonique, il fallait que je rencontre cette artiste qui avait réussi à me bouleverser. Je me suis donc rendu à l’une de ses séances de dédicaces.
Amélie Nothomb, une autrice hors norme
Lorsque vous vous rendez à l’une de ses séances de dédicaces, vous comprenez à quel point sa relation avec son lectorat est profond et sincère. Attendez-vous à l’entendre demander à l’un comment se sont passées ses vacances en Grèce, et à l’autre comment va son cadet depuis qu’il s’est cassé la jambe ! 😅 C’est bien simple, elle se souvient de chacun en détails étonnants.
Car Amélie « écoute si fort », pour reprendre son expression, qu’elle est totalement avec vous quand vous discutez ensemble. Sa grande sensibilité, son attention intense, sa gentillesse vous happent et vous capturent de telle sorte que le monde s’éclipse soudain autour de vous et que le temps fait halte.
Pour ma part, dès que je me suis présenté, elle s’est remémoré nos lettres, se souvint de quelle ville je venais (et de son code postal !) et d’autres détails qui m’ont laissé sans voix. Pouvoir échanger à ce point avec une écrivaine si talentueuse à ce niveau de notoriété est unique et, au-delà de la qualité de ses romans, je comprends pourquoi ses fans la suivent si fidèlement depuis si longtemps.
C’est ainsi que nous avons commencé à nous écrire et nous rencontrer lors de séances de dédicaces. Toujours accessible et bienveillante, elle a gentiment accepté de lire deux de mes nouvelles : L’oiseau et l’enfant qu’elle a « lu avec émotion », et Le dur et le mou pour laquelle elle m’a également félicité, ce qui m’a beaucoup touché. Voilà pourquoi vous retrouvez ses commentaires en page d’accueil de ce site !
Alors si vous n’avez encore jamais lu cette fascinante autrice, n’hésitez plus une seule seconde : ses romans sont courts, percutants, divinement bien écrits, témoignent d’une culture qui n’a d’égal que son amour pour la langue française. Et, jusqu’aujourd’hui, mon petit chouchou reste Soif.
Et vous, quel est votre roman préféré d’Amélie ?
P.S. : oui, il faut prononcer le « b » de Nothomb ! 😉
Photos : Jean-Baptiste Mondino, AFP.