Il n’y a pas que dans ma nouvelle Le dur et le mou que les pierres nous livrent des secrets ; dès les années 1960, les scientifiques ont commencé à trouver les éléments constitutifs de l’ADN dans plusieurs météorites.
Pour rappel, l’Acide DésoxyriboNucléique ou ADN est présent dans presque toutes les cellules ainsi que chez de nombreux virus ; il contient tout le génome, la « carte de référence » de tout être vivant qui ordonne la place et la fonction de chaque cellule dans son corps.
L’ADN est formé de deux brins enroulés en forme de double hélice et constitué de quatre bases azotées (symbolisées par leurs initiales A, C, G et T). Il existe toutefois une cinquième base azotée, U, qui remplace le T dans l’ARN – dont vous avez certainement entendu parler avec les célèbres vaccins contre la pandémie de Covid-19.
Jusqu’à maintenant, seules trois de ces cinq bases azotées connues avaient été identifiées dans ces bolides spatiaux. Aujourd’hui, grâce à de nouvelles méthodes d’analyse, ce sont tous les éléments constitutifs de cette molécule du vivant qui se sont révélés !
Il n’en faut pas plus pour se poser la question : ces roches spatiales écrasées sur Terre ont-elles contribué à l’apparition de la vie sur notre planète ? Et surtout, si tel est le cas, ce phénomène s’est-il reproduit ailleurs, en d’autres temps ? Autrement dit : la vie se développe-t-elle plus largement et plus facilement dans l’univers que nous l’avions cru jusqu’ici ?
De l’eau, de l’air, la vie
Pour que la vie se développe, il ne suffit pas de disposer de ces cinq bases pour créer ADN et ARN. Il faut un élément entropique stable, c’est-à-dire un environnement où tous les éléments peuvent se mélanger, se heurter, se scinder, fusionner lors d’une (très) longue période : aujourd’hui, on n’a pas trouvé meilleur cadre que l’eau liquide.
Mais ce n’est pas tout : une fois qu’on a les éléments et l’environnement, il faut de l’énergie pour animer tout cela ! Une source de chaleur, par exemple.
Alors, lorsque les premières images nettes de la sonde américaine Cassini autour de Saturne nous sont parvenues en 2017, je vous laisse imaginer l’effervescence de la communauté scientifique devant les gigantesques geysers d’eau expulsés dans l’espace par la lune Encelade ! Nous ne disposions jusqu’ici que des photos floues de Voyager 1 en 1980 qui laissaient deviner de telles éjections, mais rien de vraiment probant.
De la vapeur d’eau, du sel dans les panaches, des éléments organiques, du méthane, du CO² ! Un cocktail idéal qui laisse deviner un immense océan liquide sous la surface de glace de ce satellite naturel.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La première lune sur laquelle nous ayons soupçonné un océan d’eau liquide est Europe, autour de la géante Jupiter. La confirmation est tombée en 2019 grâce au télescope spatial Hubble : de l’eau à l’état de vapeur s’échappe aussi en geysers depuis un océan global recouvert d’une banquise.
Le sonde spatiale Juice, lancée en avril 2023, arrivera autour de Jupiter en 2029. Elle est équipée d’instruments qui lui permettront non seulement de détecter des panaches d’eau à distance, mais aussi d’échantillonner les particules qu’ils contiennent pour en faire l’analyse !
Résumons : de vastes océans liquides sur au moins trois planètes & lunes rocheuses de notre système solaire (la Terre, Europe et Encelade), des astéroïdes porteurs de tous les éléments constitutifs de la vie… Et peut-être bientôt la confirmation que cette dernière s’est effectivement développée sur Mars avant de disparaître ?
Si cette dernière supposition s’avérait (nous le saurons très bientôt !), le doute ne serait plus permis. Autant de coïncidences dans un si petit système solaire que le nôtre pointeraient toutes dans la même direction : la vie serait très certainement chose commune dans notre galaxie, et plus largement dans l’univers.
Du temps pour s’adapter
La vie, certes : mais l’intelligence ? C’est une autre histoire !
Pour que la vie se développe vers un écosystème complexe favorisant l’apparition de ce que nous nommons « intelligence », il faut beaucoup, beaucoup de temps (une échelle de plusieurs milliards d’années) et un environnement stable.
Il faut éviter les cataclysmes d’extinction massive, les radiations spatiales mortelles (ne pas se trouver trop près d’une supernova, par exemple : lisez l’expérience qu’en fait l’équipage d’un vaisseau spatial dans ma nouvelle Le nouveau-né), que la planète demeure dans la zone d’habitabilité de son étoile, et une planète rocheuse avec des plaques tectoniques (ni trop, ni trop peu)… Les paramètres sont multiples !
Mais notre système solaire n’est pas si exceptionnel : si cela est arrivé ici, sur notre planète, il n’y a aucune raison que cela ne soit pas déjà arrivé ailleurs également.
Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : la vie qui se développe est toujours adaptée à son propre environnement. L’atmosphère, la gravité, la luminosité, les interactions entre inerte et vivant… Rien de terrien n’est fait pour vivre ailleurs. Il y a fort à parier que, quand on trouvera une vie extraterrestre, elle sera très différente de ce que nous connaissons car adaptée à son propre environnement.
Qui sait, peut-être avons-nous déjà rencontré une autre forme de vie sans l’avoir reconnue, tant elle diffère de ce que nous en attendons ? Par exemple, il n’est pas impossible que la vie soit présente dans l’atmosphère de Vénus – une planète si proche du soleil que la température y est infernale !
Cela est toutefois très peu probable selon les études les plus récentes, bien qu’il s’agisse d’un rappel sur les conditions d’apparition de la vie : l’environnement entropique. On considère généralement qu’il faut un océan d’eau mais, techniquement, un océan d’un autre élément liquide pourrait jouer le même rôle d’agitateur si toutes les autres conditions étaient remplies. Dès lors, la vie qui s’y nicherait n’aurait rien de commun avec tout ce que nous connaissons.
Un retour sur Terre plutôt brutal
On le voit, les quelques réponses que nous commençons à glaner soulèvent encore davantage de questions ! Si l’existence d’une vie extraterrestre, intelligente ou embryonnaire, relève encore du domaine de la science-fiction, elle n’a jamais été aussi crédible.
Mais pour moi, les vraies questions seraient plutôt : quels changements cela nous apporterait-il ? Concrètement. Dans notre vision de l’univers, de notre place en tant qu’espèce, de nos aspirations, de nos idéaux et de notre but commun.
Pourquoi doit-on attendre d’obtenir une preuve tangible de l’inévitable pour y réfléchir sérieusement ? Allons-nous enfin dépasser notre obsession animale de la territorialité ? Tirer parti de notre « intelligence » en nous tournant vers la solidarité nécessaire pour concilier progrès technologique et maintien de la diversité écologique ?
Dans une modernité où l’accélération et le jetable ont remplacé la réflexion et le rythme de la nature, sommes-nous capables remettre en perspective notre mode de vie et nos priorités pour les faire correspondre à la réalité de notre univers ?
Car désormais, nous arrivons à un carrefour décisif : si la terre ne craint pas grand-chose de notre éphémère présence, notre écosystème et notre survie dépendent des réponses que nous apporterons.
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